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Un rapport accablant sur le Pass Culture, les 5 chiffres clés à retenir

Après la majorité des professionnelles et professionnels du secteur, c’est au tour de la Cour des Comptes d’étriller la part individuelle du Pass Culture, chiffres à l’appui. 

Le Gouvernement, le ministère de la Culture et les parlementaires ne peuvent plus ignorer ces critiques : la part individuelle du Pass est un échec total ; il faut en finir !

Depuis la création de la part individuelle du Pass Culture, le Syndeac n’a eu de cesse d’alerter le ministère, les parlementaires et les collectivités territoriales sur l’inadéquation patente entre les grands objectifs de nos politiques culturelles, l’application Pass Culture et les moyens qui lui sont alloués.

À plusieurs reprises, le Syndeac a publiquement interpellé la Cour des Comptes pour qu’elle se penche sur cet “outil” et analyse objectivement, chiffres et données à l’appui, ses résultats. L’expertise de terrain des professionnelles et professionnels que nous représentons avait besoin, en l’espèce, d’une expertise supplémentaire, d’un appui comptable et technique.

Nous nous réjouissons donc du rapport intitulé “Premier bilan du Pass Culture” publié par la Cour en décembre 2024. Ce rapport de 123 pages, sans concessions, accable la part individuelle du Pass Culture et va dans le sens de toutes les critiques formulées par le Syndeac depuis des années.

Objectifs non atteints, insuffisances de gestion, cavalerie budgétaire : la Cour des Comptes dresse un bilan assassin, à l’appui d’éléments tangibles. 

Le Syndeac retient 5 chiffres principaux.

0 %

C’est la part de financements publics de la société privée Pass Culture.

L’application du Pass Culture est pilotée par une SAS (la SAS Pass Culture), une Société par actions simplifiées, c‘est-à-dire une entreprise privée. Lors des discussions autour de sa création, le Pass Culture devait être financé en très grande majorité par des recettes issues du secteur privé. 

Pourtant, cinq ans après, cette société est financée à 90% par des fonds publics. Elle occupe même la première place des structures financées par le ministère de la Culture : l’État met chaque année plus d’argent public dans le Pass Culture que dans la Bibliothèque nationale de France, le Louvre ou la Comédie Française. 

La Cour des comptes estime que la part individuelle du Pass représente une dépense “en régime de croisière”, entre 220 et 250 millions d’euros par an. À titre de comparaison, c’est une enveloppe similaire que se partagent chaque année près de 500 lieux de spectacle vivant soutenus par le ministère ; une enveloppe qui atteint ce niveau après plus de 70 ans de politiques culturelles, d’échanges, de dialogue avec l’État, les collectivités territoriales, la population. Le Pass Culture bénéficie, semble-t-il, d’une dérogation, y compris dans cette période budgétaire où des efforts sont demandés à tout le monde.

La Cour souligne également dans son rapport les “rallonges” budgétaires données en cours d’année à la SAS Pass Culture. Ces décalages récurrents “pose(nt) un problème de sincérité budgétaire”. Ils obligent notamment la SAS Pass Culture à débloquer en avance son budget N+1 pour effectuer des règlements dus en année N : la Cour, cinglante, dénonce cette “cavalerie budgétaire” et souligne qu’elle “n’est pas acceptable”.

Quand on connaît le langage habituellement policé de la Cour, ces constats sont particulièrement significatifs, d’autant plus quand on se souvient que cet argent est géré par une entreprise privée.

0 %

C’est la part des réservations effectuées à partir du moteur de recherche du Pass Culture

Sur l’application Pass Culture, les jeunes peuvent accéder aux offres soit via un moteur de recherche, soit via la page d’accueil, soit sur les pages des partenaires (les structures qui proposent des offres). Le chiffre est clair : 88% des réservations sont effectuées à partir du moteur de recherche, ce qui signifie tout simplement que les jeunes qui se connectent sur l’application savent déjà ce qu’ils cherchent et savent déjà ce qu’ils vont réserver.

L’un des objectifs affichés du Pass Culture est pourtant d’encourager la diversité des pratiques : grâce à l’application Pass Culture, les jeunes doivent sortir des sentiers battus, découvrir ce qu’ils ne connaissent pas. Or, l’analyse de la Cour des Comptes est sans appel : la page d’accueil de l’application, “espace dans lequel se concentre la capacité de médiation du pass Culture”, joue un rôle largement minoritaire dans les réservations des jeunes. De fait, “seules 6,3 % des réservations sont effectuées via la consultation de la page d’accueil”. De quoi pousser la Cour à affirmer que le Pass “peine encore à se distinguer d’un chèque culture [et] s’apparente davantage à un simple portail de réservation plutôt qu’à un véritable espace de découverte”.

À cet écart majeur entre objectif fixé et résultat obtenu s’en ajoute un autre : le Pass Culture a failli dans sa mission de démocratisation. Si la très grande majorité des jeunes éligibles ont téléchargé l’application, on retrouve parmi ceux qui ne l’ont pas téléchargé presque deux fois plus de jeunes dont les parents n’ont aucun diplôme (22%) que de jeunes dont les parents sont diplômés de l’enseignement supérieur (13%). De même, parmi les élèves ayant déclaré ne pas savoir ce qu’était le Pass Culture, 42% sont issus d’une famille dont les parents figurent dans les trois déciles des revenus les moins importants alors qu’ils ne sont que 18 % dans les trois déciles supérieurs.

Comme le conclut la Cour, “ces constats tendent à relativiser la capacité d’un dispositif avant tout financier à aider les publics les plus éloignés de la culture à surmonter les inégalités préexistantes […] Le pass Culture apparaît davantage comme un dispositif d’accompagnement de jeunes déjà familiers et intéressés par les pratiques culturelles, mais pas comme une voie d’entrée pour les individus les plus défavorisés”.

50
millions d'euros

C’est le chiffre d’affaires généré par la Fnac grâce au Pass Culture

Depuis la création du Pass Culture, le volume de réservations réalisé par les jeunes a généré 708 millions d’euros de chiffres d’affaires au total pour les 25 000 structures proposant des offres sur l’application. Sur ces 708 millions d’euros, 40% – soit 290 millions d’euros – se répartissent entre seulement dix grands groupes commerciaux.

En tête : la FNAC. Avec 15 % du volume de réservations total, le groupe a généré 106 millions d’euros de chiffres d’affaires. Déduction faite de la (modeste) contribution reversée au Pass Culture, ce sont 100 millions d’euros qui ont atterri dans les caisses de la FNAC.

Après les jeunes, le Pass Culture devait en priorité bénéficier à des lieux culturels de proximité, qu’il s’agisse de petites librairies indépendantes, de maisons de la culture, de théâtres, etc. Des lieux qui gagnaient à être connus, reconnus, découverts par les jeunes. Quelques exceptions mises à part, les principaux gagnants de l’affaire sont des géants commerciaux – outre la FNAC, citons Leclerc, Pathé/Gaumont ou encore Cultura.

Au-delà des noms et des chiffres, ces éléments confirment l’impasse structurelle dans laquelle s’est engagée le ministère dès la création de la part individuelle du Pass. Comme le souligne la Cour, “la totale autonomie laissée aux jeunes pour choisir les offres vaut également pour les lieux d’achat ou de retraits des biens réservés”. De fait, “les offreurs du secteur marchand qui bénéficient le plus de cet outil sont généralement ceux qui sont bien implantés au plan national et à même de proposer un large panel d’offres plébiscitées par les utilisateurs”.

Le succès majeur de ces entreprises entérine le fait que la part individuelle “se présente avant tout comme une aide à la consommation de livres et de cinéma”. Comme la Cour des Comptes, le Syndeac n’interroge absolument pas le choix des jeunes utilisatrices et utilisateurs à réserver un livre à la FNAC plutôt qu’un spectacle dans un théâtre : nous remettons en cause le choix par l’État d’un outil aussi inadapté pour répondre aux objectifs qui lui sont fixés et interrogeons l’entêtement de l’État dans son erreur.

200

C’est le nombre de places de théâtre réservées via la part individuelle du Pass Culture en 2023

Le théâtre est la première discipline réservée par les enseignantes et enseignants dans le cadre de la part collective du Pass. Mais lorsque les jeunes utilisent leur part individuelle, les réservations de places de théâtre – ou de tout spectacle vivant en général, concert excepté – sont largement minoritaires et loin, très loin derrière les réservations de livres ou de places de cinéma. La Cour souligne ainsi que le spectacle vivant ne représente que 0,7% des réservations de la part individuelle depuis 2021.

La Cour souligne à juste titre que la quasi-totalité des structures du spectacle vivant proposent des offres sur l’application Pass Culture mais que la conversion entre l’offre et la réservation est faible. L’une des raisons principales est que, comme d’autres structures culturelles (musées, bibliothèques…), les lieux de spectacle vivant public proposent des tarifs gratuits aux jeunes. Ils mettent en place depuis longtemps des actions spécifiques de médiation vers ce public, en dehors de l’application Pass Culture.

La pertinence du lien entre les professionnels du spectacle vivant et les jeunes s’établit donc bien plus par l’éducation artistique et culturelle – dès le plus jeune âge jusqu’à la majorité – que par une plateforme de réservation où les difficultés “à mettre en avant des offres moins populaires ou peu connues” sont réelles.

Si la Cour propose que les offres gratuites soient répertoriées sur l’application, le Syndeac affirme que l’enjeu de fond est de refinancer les structures culturelles publiques afin que les professionnelles et professionnels disposent du temps et des moyens nécessaires à la médiation vers tous les publics. Un médiateur ou une médiatrice, salarié·e à temps plein d’un théâtre ou d’un musée, aura beaucoup plus d’impact auprès des jeunes qu’une offre mise en ligne sur le Pass Culture.

0
millions d'euros

c’est le montant total des réservations d’escape games effectuées grâce au Pass Culture

Le principe de la part individuelle du Pass Culture est de laisser toute leur autonomie et leur liberté aux jeunes dans le choix de leurs réservations. L’application n’est pas prescriptrice et n’a pas vocation à juger de la qualité des offres qu’elle héberge. C’est ainsi que près de 500 structures commerciales ont proposé des escape games sur l’application Pass Culture et généré, depuis 2021, 16 millions d’euros de réservation.

La Cour des comptes a dénoncé “cette absence de contrôle effectif du caractère réellement culturel de certaines offres” et, après enquête approfondie, le ministère de la Culture a instamment demandé à la SAS Pass Culture de déréférencer les structures proposant ce type d’activités.

Comme le Syndeac l’a déjà indiqué, ce n’est pas le choix de milliers de jeunes qui ont dépensé une partie de leur argent du Pass vers un escape game qu’il faut dénigrer – pas plus qu’il ne faut dénigrer l’achat de mangas ou de places pour aller voir le dernier Marvel au cinéma -, mais bien la responsabilité de celles et ceux qui ont autorisé des offres de ce type à figurer sur le Pass Culture.

Pire qu’une absence de filtrage, la Cour a souligné que c’est la SAS Pass Culture elle-même qui “a ajouté des catégories d’offres non prévues à l’arrêté” qui encadre les offres éligibles. Il semble donc qu’à une phase de préfiguration largement bancale du projet Pass Culture déjà dénoncée dans un précédent rapport de la Cour des comptes succède une phase de gestion à tout le moins imparfaite.

Cette “erreur” est d’autant plus incompréhensible quand on sait que le Pass Culture dispose d’une équipe de 176 salarié·es, ce qui est une force de travail à laquelle beaucoup de structures culturelles aux missions de service public ne peuvent que rêver. La Cour des comptes regrette d’ailleurs à ce propos que “la trajectoire […] de recrutements de la société n’a pas fait l’objet à ce stade d’un quelconque cadrage pluriannuel”, malgré le contexte budgétaire général et alors même que “d’autres entités dépendant du ministère de la culture étaient, quant à elles, contraintes de surveiller de près ou de réduire leur plafond d’emploi comme leur masse salariale”.

le mot de la fin, page 64 du rapport

“Cette analyse confirme ainsi que le pass Culture a tendance à renforcer des pratiques déjà bien ancrées dans l’univers culturel général des jeunes (la lecture et le cinéma), mais peine à avoir un impact sur d’autres pratiques plus éloignées. C’est avant tout à ce jour un outil d’amplification des pratiques culturelles les plus populaires. Ainsi, la stratégie de la société pass Culture, qui consiste à se fonder sur les pratiques existantes des jeunes pour essayer de les amener dans un second temps vers des pratiques moins populaires, semble avoir du mal à se concrétiser dans la réalité.”

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