L’annonce par le ministère de l’Éducation nationale d’un blocage budgétaire sur la part collective du Pass culture a plongé le secteur de la culture et de l’éducation artistique dans la sidération, générant un véritable mouvement de panique. Le Syndeac dénonce évidemment une telle décision et une telle méthode qui fragilise encore davantage les professionnels que nous représentons.
Alors que la part collective constitue la seule évolution positive du dispositif Pass culture que nous critiquons dès l’origine, l’annonce du jeudi 30 janvier dernier est révélatrice de nombreux errements. C’est important de rappeler que les organisations professionnelles et salariés n’ont jamais été associées à la mise en œuvre du projet sur la part collective, alors même que nous l’avons maintes fois demandé, notamment dans le cadre du bureau du CNPS. L’absence de concertation avec les professionnels est déplorable et n’a pas permis de construire ce projet tenant compte des réalités professionnelles et de nos missions en faveur de l’éducation artistique et culturelle.
L’incident provoqué par cette annonce révèle plusieurs aspects sur lesquels nous avons alerté l’attention des pouvoirs publics et des parlementaires à plusieurs reprises :
plateforme Adage
Le fonctionnement par le biais de la plateforme Adage aboutit à une forme de « click and collect » où les premiers arrivés sont les premiers servis. L’annonce de la suspension des financements a révélé avec netteté les conséquences du fonctionnement de la plateforme. L’expertise des professionnels est ainsi clairement court-circuitée.
Référencement
Le référencement des opérateurs admis à proposer des offres aux établissements scolaires, bien que soumises à un avis préalable des Drac (par ailleurs submergées de demandes !), est l’objet de nombreuses critiques, notamment pour son caractère « national ». Les structures candidates à la plateforme ne sont pas sélectionnées sur un projet d’éducation artistique et culturelle, mais sur leur identité propre. Les pressions politiques qui sont exercées par des opérateurs à caractère marchand posent question, et nous ne pouvons que dénoncer à cet égard la décision « ministérielle » d’agréer elle-même le Puy du Fou, révélateur d’un problème de fond et d’une dérive marchande.
Collectivités
Les collectivités territoriales qui étaient les premières actrices des politiques d’éducation artistique et culturelle ont pour un nombre important d’entre elles profité du déploiement de la part collective pour supprimer ou réduire leurs actions et financements en faveur de l’EAC. Voir l’ensemble des opérateurs inquiets de la seule prise en charge de places de spectacles est révélateur de cette situation. Dès le premier jour, nous l’avions craint : elle est aujourd’hui visible et c’est probablement une des critiques majeures que nous formulons encore à l’encontre de la part collective. La pétition initiée à la suite des annonces de gel budgétaire, pointe avec justesse ces phénomènes : « La part collective est devenue progressivement, face aux difficultés financières accrues des collectivités territoriales, un moyen de financer directement la billetterie et rémunération des intervenants dans le cadre des ateliers complémentaires ».
Source de financement
La part collective est ainsi devenue un financeur de droit commun permettant la survie de nombre d’équipes artistiques engagées dans l’EAC, et ces dernières ont légitimement besoin de cette source de financement. Mais ce glissement révèle une fois encore l’effondrement du secteur et l’abandon de toute politique de projet, de parcours, et de médiation comme le suppose la charte de l’EAC, seul texte de référence sur le sujet.
Billetterie
Enfin, les directions des établissements culturels sont devenues des « prestataires » peu contributifs, tirant d’abord du pass /part collective une ressource de financement de la billetterie, hors de toute stratégie d’éducation artistique et culturelle.
Tous ces éléments factuels que cette actualité a remis sur le devant de la scène, est l’occasion de rappeler le besoin de réformer aussi la part collective en y associant les professionnels et les collectivités territoriales.
Par ailleurs, la difficulté budgétaire apparue à l’occasion de cette annonce du 30 janvier dernier doit-être l’occasion de dénoncer des dérives déjà identifiées, d’opérateurs qui ne relèvent pas des politiques d’EAC et qui émargent grassement au Pass culture. Ainsi, dans une note officielle adressée à la DG2TDC, nous pouvons lire : « l’absence de bilans ou d’évaluation des actions, de contrôle des tarifs pratiqués, interroge au regard des montants reçus par certaines structures (par exemple, l’association Théâtre en anglais a perçu au niveau national 1,2 millions d’€ via le Pass culture entre janvier et juin 2024, au niveau national (ce qui place soudain cet acteur qui n’est pas suivi par la Drac comme un des acteurs « culturels » majeurs car très subventionné par l’État – beaucoup plus que de nombreuses scènes labellisées par le ministère de la culture – et il n’existe aucun bilan de leurs actions.)
Est-il acceptable qu’une dizaine d’opérateurs captent une part importante des crédits de la part collective et accomplissent des actions très éloignées des missions de l’EAC ? De toute évidence, la Cour des comptes devra s’intéresser de près au fonctionnement de ce dispositif spécifique.
Le Syndeac, très inquiet du devenir du financement de tout le secteur, dénonce ces dérives. Il demande une nouvelle fois l’ouverture d’une évaluation indépendante de la part collective, et exige que les intervenants financés soient également évalués. La crise récente montre l’urgence d’agir sur ce sujet.
Le Syndeac salue la mobilisation de toutes celles et ceux qui se sont indignés des annonces passées et qui démontrent à quel point l’éducation artistique et culturelle, au cœur des missions de service public, est entrée dans les missions fondamentales des artistes et des lieux de service public.