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La Cour des comptes pointe l’urgence d’une réforme du CNM

Alors que le Conseil d’administration du Centre national de la musique (CNM) a adopté en fin d’année son budget 2025 et la réforme de ses commissions d’aides – contre l’avis des principales organisations professionnelles -, la Cour des Comptes analyse dans un rapport les forces et faiblesses de cet opérateur de l’État et appelle clairement à sa réforme.

Les adhérentes et adhérents du Syndeac, qu’il s’agisse de lieux de création-diffusion, d’équipes artistiques ou de festivals, sont au travail pour que la musique bénéficie, au même titre que les autres disciplines artistiques, d’une véritable politique publique. Plusieurs analyses de la Cour des comptes rejoignent le constat fait par le Syndeac dans sa publication de 2023, Création musicale : pour une politique publique à la hauteur des enjeux 

Après avoir rappelé le contexte très spécifique dans lequel le CNM est né (au début de la crise sanitaire de 2020), le rapport de la Cour des comptes souligne les difficultés du CNM à exercer son activité “en rythme de croisière”. La Cour y trouve plusieurs causes : objectifs mal définis, moyens disponibles mal utilisés, manque de données fiables, gouvernance peu adaptée…

La Cour des comptes n’impute toutefois pas toute la responsabilité au seul CNM et pointe les manquements de l’État et du ministère de la Culture à cet égard. Le Syndeac ressort du rapport les éléments suivants :


La crise sanitaire, bien gérée, a déstabilisé la gestion “en période normale” du CNM

La Cour a fait les comptes : ce sont au total 320 millions d’euros d’aides exceptionnelles que le CNM a versés pendant la crise COVID, soit environ 20% des crédits totaux de relance attribués à la culture par l’État. Le CNM s’est “parfaitement acquitté de son rôle” pendant la crise en mettant rapidement et efficacement à disposition les crédits exceptionnels malgré le fait qu’il n’ait pas été créé pour cela. Cela ne s’est toutefois pas fait sans heurts en interne, la crise ayant “laissé le personnel, aux dires mêmes de la direction, exsangue”.

Fin 2023, le CNM disposait d’un reliquat important de ces “crédits exceptionnels” estimé à 105 millions d’euros. La Cour pointe l’importance de ce reliquat et indique que cela “ne résulte pas d’une carence du CNM, mais d’un surdimensionnement des dotations au regard des besoins réels, l’État ayant doublonné certains dispositifs d’aides du CNM avec des dispositifs généraux [de l’État]”.

Le fait est que ces fonds exceptionnels, gardés par le CNM après la crise sanitaire avec l’accord de l’État, ont “percuté durablement les équilibres originels” envisagés pour l’établissement. En effet, le CNM a utilisé près des deux-tiers de ces reliquats pour abonder ses dispositifs d’aides pérennes. Cet accroissement budgétaire inattendu a été au coeur des débats sur le budget 2025 et la réforme des aides (cf. plus bas).

L’absence de vision stratégique de l’État impacte directement l’activité du CNM

En énumérant les 11 missions qui sont attribuées au CNM depuis sa création, la Cour des comptes ne manque pas de pointer du doigt l’absence de hiérarchisation au sein de ces objectifs. Elle souligne que “ce foisonnement [d’objectifs] témoigne en creux de l’absence de choix du gouvernement et du législateur, ainsi que le défaut d’une politique explicite de la filière musicale”.

Si la Cour estime que la cotutelle DGMIC-DGCA exercée sur le CNM est une bonne chose en soi, elle dénonce sans ambages l’absence de vision stratégique globale du ministère de la Culture en matière de politique publique de la musique. Ainsi,

[Cette tutelle] ne saurait cependant dispenser le ministère de définir une politique de la filière musicale, elle-même composante d’une politique de la musique plus vaste. Malgré des relances, la délégation à la musique n’a pas été en mesure de fournir les éléments constitutifs de la politique de la musique dans le spectacle vivant alors qu’elle est chargée de l’élaborer, au sein de la DGCA, avec divers opérateurs, dont le CNM.

Et la Cour conclut : “il n’existe pas de politique publique formalisée de la filière musicale”. Un constat que le Syndeac partage évidemment et qu’il a explicité dans sa publication Création musicale : pour une politique publique à la hauteur des enjeux?« 

Ce “pilotage stratégique lacunaire” s’incarne aussi dans une certaine lenteur de l’État à définir un cadre structurant d’activité pour le CNM. Ainsi, créé en 2020, le CNM et son Président n’ont reçu leur première lettre de mission qu’en octobre 2021 et n’ont signé qu’en juin 2024 leur premier contrat d’objectifs et de performances (2024-2028).

Nulle surprise, dans ce cadre, à constater par exemple que l’éducation artistique et culturelle, mission de service public s’il en est, est complètement absente du CNM : une “invisibilisation […] d’autant plus paradoxale que l’EAC a un lien fort avec la filière musicale et qu’elle constitue une priorité du ministère”.

 

Le manque de données fiables et transparentes empêche la création d’une vision “partagée” de la politique du CNM

La Cour interroge le manque d’éléments chiffrés et consolidés dans le secteur, d’un bout à l’autre de la chaîne : de la situation économique réelle des structures à l’utilisation et au effet levier réel des aides distribuées. Si l’observation de la filière est l’un des axes prioritaires du CNM et que des avancées significatives sont à noter, la Cour constate notamment qu’il “manque toujours des données exhaustives sur le spectacle vivant et la musique enregistrée, qu’il s’agisse de la fréquentation, du chiffre d’affaires, de la ventilation par esthétiques ou types d’acteurs ou de l’emploi”.

De manière plus prégnante, le rapport s’inquiète de “l’éclatement entre les données publiques et privées”. En premier lieu, la Cour des comptes ne peut que dénoncer l’absence de données disponibles objectives du marché de la musique enregistrée : chaque année, c’est en effet le Syndicat national de l’édition phonographique (SNEP), représentant des plus gros labels, qui divulgue lui-même les meilleures ventes, les grands chiffres de l’année, la situation du secteur… Or, “le SNEP n’entend pas que le CNM reprenne sa mission d’analyse du marché” écrit la Cour : un problème d’objectivation des données qui pourrait remettre en cause les dispositifs de soutien visant à répondre explicitement aux “besoins” des adhérents du SNEP ?

En second lieu, la Cour souligne l’impossibilité pour le CNM d’avoir accès aux données fiscales des entreprises et soutient le CNM dans sa demande d’évolution de la législation en ce sens. Le rapport considère en effet cette évolution indispensable pour pouvoir évaluer correctement les différents dispositifs gérés par le CNM et, notamment, les trois crédits d’impôts.

Sans données fiables, difficile voire impossible d’évaluer les dispositifs et donc l’efficacité des mécanismes d’aides. Alors que la Cour nous apprend par exemple qu’une des majors de la musique enregistrée a bénéficié en 2023 de 3,5 M€ de crédits d’impôts, comment savoir si cet argent public a effectivement servi la filière musicale dans l’intérêt général ?

Le manque de données fiables et transparentes empêche la création d’une vision “partagée” de la politique du CNM

En l’absence de données annuelles transparentes et fiables, difficile de savoir si les aides distribuées par le CNM dans le cadre de ses commissions et via le droit de tirage servent véritablement l’écosystème musical dans sa diversité. La Cour, cinglante, indique que le niveau d’aide distribuées en 2023, “très supérieur à ce qui avait été prévu à l’origine [cf. crédits exceptionnels] n’est fondé sur aucune évaluation sérieuse des besoins, ni de l’efficacité des aides dispensées”.

Le rapport, remis en octobre 2024 au CNM, espérait donc que la réforme des aides engagée par l’établissement se fonde “impérativement et prioritairement sur l’évaluation de de leur efficacité et de leur efficience”, qu’elle revisite “chacun des dispositifs à l’aune des seuils d’éligibilité, de leur portée (apport symbolique au secteur ou aide à réel effet de levier ?), de leur cohérence”.

Or, cette réforme, adoptée par le Conseil d’administration du CNM en décembre 2024 contre l’avis de la majorité des organisations professionnelles présentes, n’a pas pris la direction souhaitée par la Cour. Malgré quelques ajustements, elle a maintenu une forme de statu quo défavorable aux structures portant des missions d’intérêt général dans la filière, allant ainsi à l’encontre des missions de service public du CNM.

Laissant de côté l’immense majorité des structures publiques de la création et de la diffusion musicales sous prétexte qu’elles sont déjà partiellement soutenues par l’État (pour des missions de service public !), la réforme n’a fait qu’entériner les critères d’éligibilité déjà en place. Or, comme la Cour le dit si bien : “le bon usage des aides ne saurait se présumer des conditions d’éligibilité.”

Pour conclure…

Parmi les neuf recommandations formulées par la Cour des Comptes, retenons :

Recommandation n°1 (Ministère de la culture avec le CNM)
Formaliser une politique de la filière en priorisant les missions afin de sortir de la logique de guichet.

Recommandation n°3 (Ministère des finances, CNM, ministère de la Culture)
Évaluer sans délai l’efficacité des trois crédits d’impôts.

Recommandation n°5 (CNM, ministère de la Culture)
S’assurer de la bonne mise en oeuvre du contrat d’objectifs et de performance prévoyant l’introduction d’indicateurs mesurant l’effet de levier.

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