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Dialoguer avec les élus pour convaincre

Pour la deuxième fois en moins de deux ans, le Syndeac a organisé une Journée de dialogue mettant autour d’une même table dix professionnel(le)s du spectacle vivant et dix élu(e)s des territoires.

Co-organisée avec les cinq principales associations d’élus (Association des maires de France, Association des maires ruraux de France, Départements de France, France Urbaine et Régions de France), cette seconde édition de la Journée de dialogue avait pour thème le financement des politiques culturelles.

On le sait, les collectivités territoriales sont les premiers financeurs du service public de la culture (70% contre 30% pour l’État). La Cour des comptes a récemment indiqué dans un rapport que ce financement représentait 2,5 milliards d’euros pour le spectacle vivant public. Mais le contexte actuel, qui voit certaines collectivités territoriales remettre en cause malgré elles leurs engagements en faveur de la culture et la grande majorité des structures artistiques réduire leur activité, ont convaincu le Syndeac et les associations d’élus partenaires de la nécessité d’un dialogue approfondi sur cette question.

Deux prises de parole ont introduit la journée :

Nicolas Dubourg, président du Syndeac, a présenté aux élu(e)s le contexte et les enjeux financiers du spectacle vivant public

André Laignel, vice-président de l’AMF et président du Comité des finances locales, a présenté aux membres du Syndeac le contexte et les enjeux financiers des collectivités territoriales

Les discussions se sont articulées autour de deux idées : d’abord, comment faire pour améliorer l’existant, c’est-à-dire rendre plus efficaces les financements et dispositifs qui sont déjà là ? Ensuite, quels nouveaux outils financiers peut-on imaginer ?

La nécessité de renforcer rapidement et massivement les DRAC a fait consensus. Relais essentiels de la décentralisation culturelle, les DRAC sont aujourd’hui dans l’incapacité d’accompagner correctement et équitablement les professionnels de la culture et les projets culturels des territoires, faute d’avoir les moyens humains, financiers et matériels suffisants.

Le témoignage de Fabienne Chognard (vice-présidente du Syndeac) et de M. Pierre Loubet (maire de Gilly-sur-Isère et vice-président à la culture de la communauté d’agglomération) a permis de présenter leur projet culturel de territoire (PCT). Ce PCT a clairement montré la nécessité d’un engagement des collectivités sur le temps long afin de mettre autour de la table d’autres partenaires territoriaux et de les convaincre de s’engager dans des conventions pluriannuelles, qui sont gagnant-gagnant dans la perspective d’une politique culturelle adaptée.

Plusieurs nouveaux outils financiers ont également été proposés par Frédéric Hocquard (Président de la FNCC). Citons par exemple la possibilité de flécher une partie de la taxe de séjour vers le secteur culturel, la création d’une dotation spécifique de l’État pour les équipements de spectacle vivant (comme cela existe pour les bibliothèques et médiathèques via la dotation générale de décentralisation) ou la valorisation de l’engagement financier culturel d’une collectivité via un mécanisme de leviers dans la dotation globale de fonctionnement.

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Au-delà des chiffres qui seront au cœur de cette journée de travail consacrée aux finances locales et aux stratégies que nous pourrions déployer ensemble pour assurer une ambition renouvelée en faveur des politiques culturelles publiques, il faut avoir entre nous la franchise de certains constats.

D’abord, les collectivités territoriales souffrent comme les professionnels du spectacle de l’affaiblissement de l’Etat déconcentré – c’est-à-dire de l’affaiblissement des DRAC.

Les DRAC devraient constituer un échelon stratégique local pour le développement et l’accompagnement des politiques culturelles, mais elles sont insuffisamment dotées, peinent à être incarnées et sont concurrencées, de fait, par la puissance des finances locales. Elles sont par ailleurs noyées par les enjeux de gestion au quotidien et par la mise en oeuvre de dispositifs qui s’empilent.

Compte tenu du fait que les financements culturels des collectivités sont largement plus importants que ceux de l’État, les “injonctions verticales” régulières du ministère de la Culture, nationalement et via les DRAC, suscitent une irritation bien légitime de vos représentantes et représentants.

La récente annonce du plan “Mieux produire, mieux diffuser” est à ce titre un exemple tristement illustratif : si l’état d’esprit du dispositif aurait dû fédérer, la faiblesse de sa dotation et la criante insuffisance de la concertation avec les collectivités territoriales font apparaître le dispositif comme une démarche très centralisatrice.

Ensuite, les structures (compagnies, lieux et festivals) que nous représentons observent de plus en plus de formes d’incompréhension quant aux missions de service public et d’intérêt général qui sont les nôtres. Nous avions partagé ces réflexions lors de notre premier séminaire de travail. Notre objectif commun reste de faire réciproquement comprendre :
aux professionnel(le)s, les contraintes qui pèsent sur les collectivités et la faiblesse de leurs marges de manœuvre depuis qu’elles ont toutes perdu la possibilité de lever l’impôt et qu’elles dépendent pour l’essentiel de dotations d’Etat ;
aux élu(e)s et à leurs administrations, que les missions de service public de la culture requièrent des moyens adaptés ; une compétence professionnelle spécifique tant sur les questions strictement artistiques que sur celles relevant des actions de territoire ; du temps long, ce que ne permet pas le recours trop régulier aux appels à projets.

D’autre part, les réformes territoriales successives et la création des “grandes régions” ont provoqué des chocs de désorganisation, tant dans les services déconcentrés de l’Etat que tant la prise en main de la compétence culturelle partagée. De fait, l’absence de vision commune entre tous les acteurs locaux à l’échelle du territoire régional ou à des niveaux infra-régionaux (départementaux, intercommunaux) pose la question du fonctionnement effectif de cette compétence partagée.

Par ailleurs, les difficultés financières traversées par les collectivités et les structures du service public de la culture doivent nous interroger ensemble sur les modalités d’évaluation de l’action publique culturelle. Les structures que nous représentons sont très conscientes des attendus que génère tout euro dépensé. Comme l’ensemble des services publics, les structures culturelles subventionnées ont intégré depuis des années une logique “gestionnaire”.

Or, les logiques d’évaluation qui prévalent à ce jour sont strictement quantitatives et ne rendent pas compte de la réalité des actions conduites. Le taux de remplissage d’une salle de spectacle ne rend par exemple pas compte des ateliers, rencontres et actions en dehors des murs de la salle que nos structures mènent sur le territoire. Vos représentant(e)s le savent : les artistes et les lieux existent en dehors des seuls moments de représentation. Afin que les missions de service public que nous menons au quotidien (accessibilité, transmission, diversité artistique, irrigation territoriale., etc.) soient mieux valorisées, les modes d’évaluation doivent mieux les appréhender.

Bien évidemment, l’absence de coordination des outils budgétaires et d’évaluation entre les différentes collectivités – chacune pouvant avoir des critères de financement et des attendus différents -, n’aide pas la situation et ajoute d’autres complexités à des modalités déjà chronophages.

Rappel de quelques chiffres :

  • Les coupes budgétaires annoncées par Bruno Le Maire suppriment 100 millions € au spectacle vivant (soit 10% du budget total) 
  • le Pass Culture, dont le budget annuel est de 250 millions (ce qui équivaut au budget total de la décentralisation culturelle au bout de 70 ans), est complètement épargné 
  • 60% des 367 lieux avec un “label” de l’État affichent un déficit en 2023 : c’est inédit 
  • l’offre de spectacles réduite de 25% pour la saison en cours, soit un recul aussi massif que sur les 20 dernières années 
  • au moins autant pour la saison à venir

Merci pour ces éléments très intéressants. 

Je souhaite tout d’abord rebondir sur le sujet des DRAC. Dans ma carrière de maire, j’ai eu l’occasion de dire à un DRAC qu’il était un peu “le commissariat de la culture”. En d’autres termes, le DRAC me disait ce que je pouvais faire ou ne pas faire, ce que je devais faire ou ne pas faire et, dans tous les cas, ne me donnait aucuns moyens pour réaliser ce que je pouvais et devais faire. Malheureusement, les DRAC sont aujourd’hui incapables d’apporter l’ingénierie aux collectivités qui veulent mettre en place des projets culturels mais qui n’en ont pas les moyens.

Concernant les appels à projets, cela fait très longtemps que l’AMF demande que les appels à projets cessent – idem pour les appels à manifestation d’intérêt. Je suis tout à fait d’accord sur l’aspect chronophage de la chose, de la même manière que je trouve incohérent que seuls des des critères quantitatifs régissent et évaluent l’activité culturelle. Parfois, plus il y a de chiffres, plus il y a d’abstraction. On ne sait plus où regarder et que comprendre alors qu’il s’agit d’actions et de missions dans la vie quotidienne.

Je veux maintenant aborder le volet purement financier des choses.

D’abord, je souhaite souligner que le décret qui a ponctionné 10 milliards aux dépenses publiques est ce que j’appelle un décret « scélérat ». Son impact sur la culture est évident et, malgré les annonces de Mme la ministre, je ne fais pas de différence entre les institutions parisiennes et les autres. Quand on touche aux institutions parisiennes, ça me touche autant que quand on touche une troupe dans une ville moyenne ou un festival en ruralité : c’est de la culture tout pareil.

En tant que président du CFL, j’étais invité hier au Haut conseil des finances publiques locales. Il y avait beaucoup de monde, mais seulement quatre représentants des collectivités territoriales, quatre ministres et… pléthore de gens de Bercy. En définitive, on a été invités dans quel but ? Un seul : nous faire avaliser la baisse des moyens des collectivités territoriales.

Cela a duré un certain temps de discussions polies jusqu’à ce qu’à la fin, Bruno Le Maire prenne la parole : « bon, on est tous d’accord sur la baisse et le respect de la trajectoire ?”. La “trajectoire”, c’est une baisse de 2,5 milliards € par an. J’ai donc répondu : « Je vous confirme que nous n’acceptons pas cette nouvelle ponction ». Ils nous ont fait comprendre que nous pouvions ou consentir, ou être forcés. Nous attendons donc de savoir par quelle méthode ils vont nous prendre ces 2,5 milliards € dès 2024.

Bercy nous dit que les communes sont riches. Le rapport de l’INSEE la semaine dernière dit l’inverse et indique même que l’état des finances empire. 

Concernant les départements par exemple, la crise immobilière impacte très directement les droits de mutation à titre onéreux (DMTO) qui constituent l’une de leurs premières ressources. Les départements ont en moyenne 22% de budget en moins ; 80% d’entre eux seront en déficit aggravé fin 2024. Côté régions, le manque de financement est également une réalité bien que cela soit plus modeste à leur échelle.

Pourquoi je dis que cela va s’aggraver ? Pour des raisons objectives. Si l’on prend la DGF sur les dix dernières années, de 2014 à 2024, et qu’on l’actualise en euros constants, le poids financier supporté par les communes et les intercommunalités se chiffre à 70 milliards €.  C’est le supplice du garrot, qui se resserre chaque année.

Le Président de la République me demande avec le CFL de faire une réforme de la DGF. Elle a été augmentée de 1,2% cette année. Pour mener cette réforme, nous utilisons ce qu’on appelle le « panier du maire », soit l’équivalent du « panier de la ménagère ». C’est un modèle type des dépenses obligatoires des collectivités : masse salariale, restauration scolaire, énergie, etc. On observe sans mal avec ce panier qu’au fil des années, le « pouvoir d’action » des collectivités (ici, l’équivalent du « pouvoir d’achat ») est en recul continu.

L’État nous répond que les collectivités ont une trésorerie énorme : 50 milliards €. Mais il faut regarder le détail, strate par strate. Par exemple, pour les communes de moins de 1 000 habitants (la majorité), la trésorerie représente 424 jours de fonctionnement. Pour les communes de plus de 100 000 habitants, c’est 24 jours de fonctionnement. Entre les deux, c’est-à-dire les villes moyennes, c’est 90 jours de fonctionnement.

Certains se demandent alors pourquoi les petites communes et les communes rurales ont une trésorerie « abondante », avec plus d’un an de fonctionnement devant elles. Je laisserai mes collègues des petites communes autour de la table corriger si besoin mais la réalité est que dans la plupart des communes de 500 habitants, il y a un gros projet par mandat. En tant que maire, on est obligé de thésauriser pour pouvoir faire LE projet du mandat, sur six ans. On passe quatre ans à rechercher des financements, à monter les dossiers, et les années 5 et 6, on est prêts, on y va. C’est ça le rythme des petites collectivités. Mécaniquement, ça gonfle la trésorerie.

Pour nous sortir de cette situation, nous n’avons en définitive que 2 solutions :

  • soit nous baissons nos investissements (avec une capacité d’autofinancement nulle) ;
  • soit nous baissons le fonctionnement, c’est-à-dire le quotidien, les services publics, ce qu’on offre à la population. Dans ce cas-là, la culture et le sport sont souvent en première ligne. Gardons en tête que les subventions pour la culture qui sont “maintenues” par les maires – ce qui est bien -, sont en réalité en baisse compte tenu de l’inflation.

 

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