Nous publions cette tribune avec l’aimable autorisation de Sylvie Guillaume, députée européenne, de Karine Gloanec Maurin, ancienne députée européenne et de Pierre Larrouturou, député européen.
Le texte a été publié dans News Tank Culture le 23 juillet 2020.
La pandémie de la Covid-19 a frappé de plein fouet l’ensemble des secteurs de la culture : spectacle vivant bien sûr, mais aussi cinéma, livre, musées et patrimoine…
Bien souvent les acteurs et les lieux de culture ont été les premiers touchés, les derniers à pouvoir s’extirper des mesures de confinement, et encore, pour passer à des modalités de distanciation drastiques. Alors qu’on évoque déjà les risques d’une deuxième vague, le monde de la culture sort tout juste de la première ! Cette crise touche un nombre considérable de structures et d’individus (qu’ils soient salariés classiques ou intermittents), ainsi que toute la chaîne de sous-traitance. Sans oublier, en cette veille de trêve estivale, les effets croisés en termes de tourisme : de nombreux festivals (générant habituellement un afflux d’amateurs de musique, de théâtre…) n’auront pas lieu, et inversement, le flot de touristes en particulier extra-européens, attirés par la richesse du patrimoine français et européen, semble se tarir.
À juste titre, l’émoi est très fort : comment encaisser ce choc ? Comment non seulement éponger les pertes économiques, mais également se réinventer ? En effet, au même titre que pour de nombreux autres secteurs, la crise de la Covid a été révélatrice des limites de nos modes de fonctionnement, en tant qu’économie et en tant que société : pour la culture non plus, un simple retour au business as usual n’est pas imaginable.
Afin que les acteurs de la culture, dans leur multitude et leur diversité, puissent non seulement survivre mais accomplir cette mutation, il faut à l’évidence plus, et pas moins, de ressources !
Certes, beaucoup dépend des mesures nationales et en la matière, en France plus qu’ailleurs où les traditions et la diversité culturelles sont des biens précieux.
Mais l’Union européenne occupe une place non négligeable, au travers de programmes emblématiques, en particulier Europe Créative, Erasmus + dans le secteur de l’éducation, et le Corps européen de solidarité qui doit contribuer au fonctionnement des secteurs culturels, créatifs et sportifs.
Or si l’accord global au terme du Conseil marathon du 17 au 21/07/2020 a été salué, il sacrifie sur l’autel du compromis bien des ambitions, le Cadre financier pluriannuel faisant l’objet de coupes importantes dans de nombreux programmes. Cette situation est non seulement décevante en général, mais résolument inquiétante pour le secteur culturel ! Ce paquet qualifié par Ursula Von der Leyen de « Next Generation EU » tourne en fait résolument le dos aux futures générations d’artistes et de créateurs.
Tout d’abord nous pointons les incertitudes qui planent sur les possibilités qu’auront les secteurs artistiques et de la création d’utiliser ce Fonds de Relance. En l’occurrence, dans un contexte de « sauve-qui-peut », nous nous inquiétons de la perspective d’une absorption de ces fonds par les seuls grands acteurs économiques plus établis et peut- être mieux outillés pour capter les aides, ce d’autant plus que le contrôle parlementaire promet d’être limité voire faible, à notre grand désarroi.
Si l’on passe aux chiffres dans le CFP, nous ne pouvons admettre les coupes transversales annoncées dès le 10/07/2020 par Charles Michel, Président du Conseil européen, comme base de la négociation, et qui ont été largement confirmées par les Chefs d’États et de gouvernements. Alors qu’en 2018 avaient été annoncées des augmentations, à hauteur de +3,4 milliards € pour Erasmus+ et +1,5 milliard € pour Europe Créative, nous sommes à présent face à des coupes claires. Sur Erasmus+ et le Corps européen de solidarité c’est -48 % en comparaison de la position du Parlement européen, qu’Ursula von der Leyen comme candidate à la Présidence de la Commission avait reprise à son compte. Quant à Europe Créative, nous serions à peu près au niveau du cadre financier actuel alors qu’une réponse sérieuse à la crise de la Covid impliquerait un doublement de ce budget !
Comment la défense de l’exception culturelle française et européenne pourrait-elle rimer avec l’exclusion des planches de salut budgétaires mises en place actuellement ?
La culture n’est pas une simple variable d’ajustement ! Elle ne saurait non plus être une sorte d’oripeau pour les dirigeants nationaux, mise en avant face caméra mais vite remisée quand les négociations budgétaires commencent, portes closes.
Nous, Socialistes et Démocrates au Parlement européen, exigeons 41 milliards pour Erasmus+, 2,8 milliards pour Europe Créative et au moins 1,13 milliard pour le Corps européen de Solidarité. Le Parlement européen entend bien peser dans cette négociation pluripartite, car c’est lui qui doit donner son consentement au futur CFP ! Et dans cette bataille post-estivale, il aura bien besoin de la mobilisation des secteurs touchés par les coupes budgétaires.
En outre, une assistance au plus près des secteurs concernés devra être mise en place, car il ne suffit pas d’agiter les milliards pour que la multitude d’acteurs se relève d’un coup d’un seul… Dans cette optique, nous espérons que la plateforme mise en place par la Commission le 05/05/2020 sur la base du Projet pilote du Parlement européen « FLIP », se voulant participative et dynamique, donnera satisfaction.
À la Commission européenne et aux Chefs d’État et de gouvernement, nous répétons que la culture n’est pas juste « ce petit supplément d’âme » ; elle est au cœur du seul projet d’Union européenne qui vaille, celui qui associe et valorise l’esprit et la création, dans toute leur diversité.
Sylvie Guillaume, députée européenne, présidente de la Délégation de la gauche sociale et écologique, S&D
Pierre Larrouturou, député européen Nouvelle donne, S&D
Karine Gloanec Maurin, ancienne députée européenne, S&D