Texte rédigé par Catherine Meneret, directrice adjointe du Centre chorégraphique de Caen en Normandie
Depuis début mars, les théâtres sont fermés. La création est en panne. Les artistes sont confinés – comme tous les français – et nul ne sait bien quand et encore plus comment le travail va pouvoir reprendre. Les recommandations sanitaires d’ores et déjà formulées laissent un goût amer devant la complexité des procédures à mettre en oeuvre. De même, depuis le 17 mars, quelques jours plus tard, les avions étaient cloués au sol. L’aéroport de Orly a été fermé, constituant un événement en soi, et actuellement encore, à peine 10 % de vols internationaux sont réalisés par jour pour la compagnie nationale ! Même si dans le ciel, les vols européens semblent en voie de reprise partielle. Ces deux événements mis côte à côte racontent un autre drame dont personne ne parle. La circulation des œuvres et des artistes est à l’arrêt, sans doute pour longtemps, et personne ne s’en émeut. L’organisation administrative française a confié cette mission au ministère de l’Europe et des affaires étrangères, mettant une fois de plus le ministère de la Culture dans une situation de spectateur impuissant. Alors que celui-ci a incité en France, grâce à notre mobilisation syndicale, à une chaîne de solidarité active à l’intérieur du pays (paiement des cessions ou accès à l’activité partielle, allongement des droits à l’assurance chômage), ce qui se passe à l’extérieur n’a suscité que peu de décisions politiques et le modèle de solidarité active nationale n’a pas atteint les responsables du quai d’Orsay.
La culture ne se saucissonne pas entre les artistes français et étrangers, entre ceux et celles des français qui tournent dans le monde et celles et ceux des étrangers qui sont accueilli.e.s Europe, produits, coproduits, diffusés dans nos théâtres et maisons de création. C’est d’autant plus absurde que beaucoup d’équipes artistiques françaises sont composées d’artistes et techniciens étrangers. Tous et toutes vivent les mêmes réalités dans des contextes différenciés. Tous et toutes contribuent par leur art, par leur présence, à ouvrir le champ de nos représentations symboliques et à accomplir une mission d’ouverture sur le monde que seul le secteur subventionné accomplit sérieusement. Leur circulation est ainsi devenue avec le temps, un enrichissement majeur et bien des facilités ont été reconnues aux artistes et à leurs accompagnateurs techniciens : le visa d’artiste n’est pas encore une généralité mais une pratique que la crise met à mal. Défendre cette circulation des œuvres et des artistes dans un contexte cloisonné est un impératif pour éviter le douloureux réveil des décisions prises qui pourraient s’inscrire dans le temps.
La crise sanitaire de la Covid-19 révèle les failles de notre modèle par trop centré sur la production et pas assez sur le parcours des artistes ; le secteur chorégraphique, plus que d’autres encore, le vit nettement. Le Syndeac a déjà entrepris de nourrir les travaux en cours sur les conditions pour que les professionnels du secteur subventionné soient pleinement acteurs de la sortie de crise. Dans cette démarche, l’ouverture sur le monde, au cœur des missions d’intérêt général, ne doit pas être sacrifiée faute de prise en compte du problème par le ministère des Affaires étrangères ! Si nombre de théâtres ont déjà annulé ou reporté les programmations internationales et européennes du début de la saison à venir, forcés et contraints par l’urgence sanitaire, l’ambition de la reprise ne doit en aucun cas oublier la question culturelle internationale. En aucun cas, la programmation locale / nationale ne doit se substituer à celle, internationale, qui fonde une mission de service public.
L’absence d’un plan national d’envergure pour le secteur culturel ne peut que frapper les esprits : 7 milliards pour Air France, 17 milliards pour le tourisme, et toujours rien d’annoncé de sonnant et trébuchant pour la culture…. Les « annonces » du Président Macron le 6 mai dernier prétendaient répondre à cette urgence, et ont révélé au contraire un vide abyssal de la pensée présidentielle sur le secteur culturel, et à fortiori quand il est subventionné.
À ce stade, il est nécessaire de s’adresser vite au ministre de l’Europe et des affaires étrangères pour faire entendre et comprendre les choix politiques qui ont été faits au niveau national. Le besoin de mettre en place une chaîne de solidarité internationale active pour entre autre les artistes français tournant à l’étranger, les artistes étrangers empêchés de créer en France, doit être placé dans le débat actuel : le paiement des cessions annulées vaut autant en France qu’à l’étranger. Il n’est pas acceptable par exemple que certains instituts français, dont on ne nie pas la fragilité budgétaire, annulent des spectacles sans aucune compensation financière. Les équipes artistiques sont assez désemparées et surprises par cette différence de traitement. L’institut Français doit d’urgence revoir son modèle administratif pour résoudre les drames économiques qui vont découler de l’absence d’une politique publique offensive. Cette réaction est d’autant plus nécessaire que les artistes tournant à l’international seront de toute évidence affectés plus durablement par les effets de la crise sanitaire.
Les collectivités locales et territoriales doivent aussi être sensibilisées à l’enjeu culturel international. Les équipements qu’elles subventionnent et qui participent à cette action sont parfois incomprises d’elles. Le financement local n’est pas une contre-indication du développement artistique international. Il faut reconnaître que cette mission a besoin d’être explicitée pour que les élu.e.s s’en emparent à leur tour.
Au-delà de l’urgence, l’anticipation des conséquences potentielles du block out de certains pays à fort potentiel pour les compagnies, est un sujet à traiter à part entière. Les équipes artistiques vont sans doute être victimes d’une impossibilité inédite à circuler dans certaines zones du monde, la Chine nous fournissant un exemple suffisamment frappant pour rechercher ensemble des réponses adaptées.
Nous voulons bien nous « réinventer », comme on nous y invite ! Mais cela ne peut pas se concevoir sans nos partenaires étatiques et institutionnels. Le modèle de la diffusion internationale et européenne mérite une refondation, mais à condition que les attendus soient définis en amont. L’attitude du MEAE à ce stade, n’incite pas à la confiance. Ses moyens budgétaires, constamment réduits par tous les gouvernements successifs, sont au centre des problèmes actuels. Est-on sûr, aujourd’hui, et après la crise de la Covid-19, que la culture est bien défendue par le lobby du quai d’Orsay ? Belle question à débattre….
Catherine Meneret, directrice adjointe du Centre chorégraphique de Caen en Normandie