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Construire un projet européen, c’est possible !

Texte rédigé par Cécile Backès, metteure en scène, directrice de la Comédie de Béthune, CDN des Hauts-de-France

 

Depuis la première génération de projets européens — celle du réseau Prospero, initié par le Théâtre National de Bretagne et le Théâtre de Liège en 2008, nous avons vu se développer d’autres modes de coopération internationale, connectés plus étroitement avec les enjeux géopolitiques de l’Europe actuelle. Une nouvelle génération de projets vient modifier la donne : s’orientant vers des partenariats plus transversaux, les structures culturelles du spectacle vivant s’associent à d’autres : compagnies, musées, universités, associations… Ces expériences nouvelles sont porteuses d’enjeux à la fois artistiques et politiques, passionnants pour des structures culturelles comme les nôtres. Mais reconnaissons-le : de prime abord, un projet européen semble difficile à mettre en œuvre. Trop de complications, des barrières de langue à la rédaction de dossiers ardus, truffés de chiffres et de questions multiples… Impossible ? Peut-être pas.  

 

Pour développer ce sujet, je m’appuie sur mon expérience du projet Meet The Neighbours mené à la Comédie de Béthune, centre dramatique national des Hauts-de-France, en 2018 et 2019. Ce projet, en partenariat avec 4 autres structures de Manchester (Grande-Bretagne), Groningen (Pays-Bas), Lublin (Pologne) et Marrakech (Maroc), suscite beaucoup d’enthousiasme, chez les artistes invités, dans les équipes et pour les partenaires qui ont initié cette aventure !

 

 

Le contexte

Pour moi, le désir de coopération internationale ne peut se passer d’une observation du contexte local. Dans le cas des Hauts-de-France, à mon arrivée en 2014, le développement de synergies internationales ne concernait quasiment pas le Pas-de-Calais et ses territoires situés au sud de Lille. Il s’agissait de situer le Centre dramatique dans une histoire internationale et d’estimer ce qui était possible à proposer à l’équipe dans le calendrier imparti, pour qu’elle fasse sien ce projet.

 

Observant Béthune, je me suis intéressée à la politique culturelle menée depuis 30 ans dans le Bassin Minier, entre Béthune et Arras : depuis 40 ans, dans un paysage préoccupé par la fermeture des mines, différentes volontés politiques se positionnaient sur l’avenir du patrimoine minier et des artistes internationaux étaient régulièrement invités pour des événements. Il y avait donc un terrain et de l’espace pour un projet. Interroger le rôle des artistes dans un territoire traversé par les difficultés sociales et environnementales ? C’était une idée possible.

 

La préparation

À ce stade, il m’a paru indispensable d’être accompagnée dans la réflexion et le montage du projet. J’ai fait appel à Vincent Adelus, qui m’a aidée à approfondir la réflexion sur une expérience de résidences artistiques au plus près des habitants, et à construire le réseau de partenaires. Les services du Conseil régional des Hauts-de-France se sont également révélés être un soutien précieux, pour approfondir le contexte régional.

 

Nous avons rencontré les artistes britanniques de la compagnie Quarantine au sein d’un groupe de partenaires européens potentiels, à la Filature de Mulhouse. Cette idée d’artistes voisins des habitants est venue, portée par Richard Gregory et son équipe, suivie d’échanges dans les forums IETM, par mail, par Skype, qui nous ont conduit à imaginer le projet et à « viser » les partenaires potentiels. Le Grand Theatre (Groningen, Pays-Bas), la galerie d’art Labyrint (Lublin, Pologne) et le 18 (Marrakech, Maroc) nous ont rejoint. Nous avons ensuite écrit le projet, défini un calendrier individuel et commun, notre mode d’évaluation interne, une répartition du budget et fait le choix que Quarantine, compagnie de théâtre donc petite équipe, devienne le partenaire pilote ou chef de projet. À ce stade, l’accompagnement par Relais Culture Europe s’est révélé très précieux — il l’avait déjà été sur la phase précédente de constitution du partenariat.

 

La Comédie de Béthune est donc partenaire principal mais non chargé du suivi administratif du projet. En interne, j’ai partagé régulièrement avec l’équipe les avancées du projet, invité les partenaires, organisé la rencontre avec l’équipe et nos partenaires territoriaux. Tout cela a permis que certain·e·s membres de l’équipe s’impliquent et se projettent dans une réalité à courte échéance.

 

Cette phase de préparation a duré deux ans et demi. Cette durée peut sembler énorme, mais elle n’est pas de trop pour se donner les moyens de faire coïncider au mieux les objectifs et les réalités des uns et des autres. Un projet européen, en tout cas celui-là, se construit dans la capacité de chacun à interpréter les grandes lignes du projet artistique. Et c’est un point qui, aujourd’hui, me semble capital : chacun mène le projet dans son contexte, l’interprétant, le déclinant, interrogeant ses limites, à partir des questions qu’il souhaite travailler.

 

Nous avons su en avril 2017 que notre projet était accepté.

Le projet ?

 

Meet The Neighbours

Une expérience européenne de résidences artistiques

Imaginé pour que les artistes soient au plus proche des habitants, Meet The Neighbours invite une trentaine d’artistes – toutes disciplines et nationalités confondues – à s’installer au cœur des quartiers de cinq villes d’Europe et d’Afrique du Nord : Béthune (FR), Groningen (NL), Lublin (PL), Manchester (UK) et Marrakech (MA), territoires où se pose la question des conséquences sociales de l’ère post-industrielle.

À partir de cette idée d’artistes voisins venant conduire une expérience artistique avec les habitants, au milieu d’une réalité sociale donnée, plusieurs questions se posaient :

– Que signifie être voisin aujourd’hui ?

– Comment un nouvel habitant — artiste et étranger — est-il accueilli ? Dans un espace privé ? Dans un espace public ?

– Comment un artiste peut-il modifier le regard d’habitants sur leur environnement ?

– Son travail peut-il agir sur la qualité de leurs relations ?

– Qu’est-ce qui se passe quand un artiste travaille en tant que voisin ?

 

Le projet à l’épreuve du réel

Ce projet, imaginé au départ par un groupe d’artistes britanniques et français, place l’expérience et la recherche au cœur du travail collectif. Nous rêvions d’artistes explorateurs d’espaces privés et publics, dont la présence et le travail transmettraient aux équipes et aux partenaires le matériau recueilli, venant nourrir les problématiques du projet global de chaque structure. Ce qui s’est produit, comme l’ont montré nos différentes réunions de partenaires, pendant le déroulement du projet. Elles nous ont permis d’appréhender ensemble les situations, les difficultés, les questions… tout ce qui constitue les réalités de Meet The Neighbours.

 

Rencontrer l’art : devenir spectateur 

L’équipe de la Comédie de Béthune souhaitait que des artistes viennent ancrer leur démarche en considérant les enjeux spécifiques de ce territoire : le manque de ressources de certaines populations — ressources financières, mais aussi culturelles —, la mobilité et l’isolement de certains habitants.

7 résidences ont été organisées dans des quartiers prioritaires de la Communauté d’Agglomération Béthune-Bruay ArtoisLys Romane, à Béthune, Bruay-la-Buissière, Lillers. Nous avons fait le choix d’inviter des artistes qui pourraient engager les habitants dans un acte de créativité individuelle et collective, avec des travaux fondés sur des collectes de souvenirs, témoignages, récits de soi. Ce sera l’objet des 2 résidences à venir d’ici fin 2019.

 

Les restitutions de résidences, dans leur majorité, ont eu lieu au théâtre. Certains habitants sont venus découvrir les spectacles programmés des artistes en résidence. Ils ont donc franchi la porte de la Comédie de Béthune. Quel statut ont-ils, alors : sont-ils visiteurs du lieu de la Comédie ? Spectateurs potentiels ? L’hypothèse de créer un statut spécifique pour ces habitants a été évoquée : un statut de voisin. Un statut qui énonce l’enjeu majeur du projet : les habitants sont voisins du théâtre, La Comédie est voisine des habitants de son quartier. Développer la dimension du « lieu de vie » accessible à tous, ancré dans la mixité sociale, avec des espaces accueillants pour différents activités personnelles ou collectives — lecture, écriture, activités sur Internet, échanges…— soit une accessibilité en dehors des représentations, faisait déjà partie du projet culturel global. L’apport et les effets de Meet The Neighbours entrent en cohérence avec cette dimension.

 

Pour conclure

Les résidences d’artistes sont venues considérablement nourrir la politique des relations publiques de la Comédie de Béthune, à la fois dans ses significations, dans ses usages et dans son potentiel de développement. Quels publics : spectateurs, usagers, ou un mélange des deux ? Qu’est-ce qu’on entend par « publics » ? Aller au théâtre, n’est-ce pas d’abord poser le pied dans un espace du théâtre qui n’est pas forcément la salle de spectacle ?

Ce projet devient un formidable outil de développement des usages contemporains d’un théâtre public comme la Comédie de Béthune, CDN des Hauts-de-France.

 

Aujourd’hui, à quelques mois de la fin de Meet the Neighbours, nous entrevoyons la possibilité d’une autre étape, peut-être d’un autre projet : celui qui s’appuierait sur un réseau constitué d’artistes européens, incarnant la mobilité, traversant le continent d’une résidence à l’autre, susceptibles d’opérer des liens d’un territoire à l’autre, étendant la portée de son action artistique internationale.

 

 

(photo : Thomas Faverjon)

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