Introduction résumée du séminaire du 29 mars 2019, par Marie-José Malis, Présidente du Syndeac
Je vous remercie tous pour votre présence et remercie le T2G de nous accueillir. Il y a un an et demi, une des demandes qui avait émané de l’assemblée élective conduisant à l’élection de notre Conseil national avait été de nous redonner des moyens de nomination de notre fonction dans la société.
Cette demande émanait dans un contexte très particulier, avec le sentiment que notre argumentaire était devenu en grande partie inaudible : la défense de notre service public, les arguments tantôt anti-marchands de la culture comme exception et bien immatériel, tantôt économistes, comme la culture génératrice de richesse dans les territoires, la notion de démocratisation, d’émancipation, tout cela était devenu inaudible à nos élus et même à la presse.
Nous étions menacés de plusieurs procès à la fois :
- un procès d’élitisme : la démocratisation aurait failli, nous n’aurions pas su prendre en compte les mutations ou les besoins de la société ;
- mais aussi un procès inverse : nous servions trop les classes défavorisées et n’aurions pas été assez attentifs aux classes moyennes contributrices de l’impôt, à la paupérisation d’une partie de la population, et n’aurions pas vu la panne programmée de l’ascenseur social ;
- enfin, un procès sur notre écosystème : nous avons beaucoup subi des attaques malthusiennes qui pèsent sur les compagnies, avec l’idée très répandue qu’il y avait trop d’offres pour pas assez de demandes ; mais aussi un procès sur la lourdeur structurelle de nos lieux (« système à bout de souffle »).
Beaucoup de ces questions sont reprises aujourd’hui à la faveur du mouvement des gilets jaunes. Nous avons été frappés par les tribunes de Michel Guérin dans Le Monde nous faisant le procès de ne pas être assez accueillants pour la population aujourd’hui en souffrance.
Enfin, on nous a reproché d’avoir accentué le fossé entre les minorités et la culture dominante ; c’est le procès instruit par les droits culturels notamment, nous serions des perpétuateurs de domination. Et ce, dans un contexte très particulier d’apparition d’autres équipements et outils :
– renforcement du théâtre privé ;
– apparition de tiers lieux, chevaux légers offrant à la population de nouveaux usages, pour un sentiment plus fort de participation.
Je prends très au sérieux notre procès en « ringardisation ». Celle-ci aurait une double face : une montée en puissance des institutions conservatrices – les équipements de prestige reprennent de la force – et simultanément un renforcement du privé et une montée en puissance des lieux autres, ceux de l’économie sociale et solidaire. Cela fait des étaux compliqués à affronter. Le contexte était également politique :
- la réforme territoriale affaiblissait notre lien direct aux décideurs, élus et administrations et entraînait des destructions ;
- l’austérité budgétaire persistante avec le leitmotiv d’une culture dépensière ;
- l’élection d’un Président ayant fait exploser tous les cadres anciens et proposant une révolution culturelle confuse, dont les maîtres-mots étaient somme toute la destruction de l’ancien monde, de ses institutions, de ses corps constitués…
et ce, après des années d’attaques contre nous, contre une démocratisation qui avait failli, avec des élus – souvent socialistes – qui, au fond, ne voulaient de nous que la communication ou le pompiérisme social !
Et nous-mêmes, qui sentions que notre manière de procéder avec la population devait être changée.
C’est ce que le premier séminaire animé par Boris Razon nous a beaucoup aidés à éclaircir. Cette culture descendante que nous représentons, que nous incarnons souvent, venait percuter de plein fouet ce qu’une autre révolution avait fondamentalement modifié. La culture numérique avait changé l’accès des gens aux œuvres. Les canaux de prescription ont changé. Le besoin politique des gens aussi a muté : ils ne veulent plus de représentants, ils veulent être acteurs.
Notre deuxième séminaire est un séminaire d’approfondissement, il intervient au moment où va se préparer la campagne des élections municipales.
Il a pour enjeu de continuer à nous doter d’un vocabulaire :
- un vocabulaire personnel que chacun d’entre nous peut subjectiver, qui aide chacun de nous à défendre sa fonction, en tant que lieu, en tant que compagnie ;
- un vocabulaire collectif et syndical : comment redonner une voix au syndicat dans le dialogue avec les décideurs politiques et administratifs ;
c’est conjoint.
Comment parler de nous, de notre fonction, et surtout la faire comprendre, voire la rendre impressionnante ? Le dernier séminaire a fait apparaître des choses considérables.
Si la révolution numérique devait en être une, à savoir quelque chose qui conduit à une nouvelle manière d’agir dans le monde pour plus de justice, cela ne peut avoir lieu que si nous nous en emparons. Sinon, elle ne sera que la livraison d’outils techniques, de canaux, soit individualisant, soit conduisant à la nuée confuse des opinions.
Nous avons dit que nous voulions ouvrir nos lieux et desserrer leurs cadres, que nous étions des lieux de création qui voulaient devenir des plateformes, permettant des branchements à d’autres secteurs (social, éducatif, du travail, vie politique, militante, etc.), et abriter dans ces lieux de nouveaux usages, de nouvelles sociabilités.
Pour cela, nous étions convaincus qu’en même temps que nous devions défendre nos fonctions régaliennes, il fallait que nous nous donnions une méthode d’innovation, un peu comme dans une industrie qui continue à fabriquer les produits qui fonctionnent mais qui, en même temps, se donne un laboratoire d’innovation.
De ce premier séminaire a émergé un mot d’ordre : « Nous sommes les acteurs de la transformation sociale ! ». Les artistes aident à nommer le désir et à lui trouver une forme, c’est notre travail. Nous passons notre temps à cela : autoriser le désir, formuler des choses complexes. Nous sommes des porteurs de méthode qui aident à faire aboutir la parole et le désir des gens.
De tout cela, il fallait tirer une force et dire à nos élus que plutôt que de vouloir nous contourner pour créer de la modernité, comme ils ont l’habitude de le faire, plutôt que de vouloir inventer des lieux à côté, plutôt que de vouloir nous diminuer donc – ce qui est une passion française, on déteste l’institution que l’on s’est donnée ! –, il fallait peut-être nous remettre au centre et nous compléter là où nous étions absents.
Ce séminaire a pour objet :
- de continuer le travail de renforcement de vocabulaire : qui sommes-nous, que faisons-nous, comment s’appelle notre contribution au destin des individus et des collectifs ?
- de définir quelles sont les voies, les outils concrets que nous voulons nous donner et revendiquer, quel type de lieux, quel type de compagnies, quels usages, quelles œuvres, quelle relation à la population ?
- de continuer à nous parler pour aboutir à des mots d’ordre ou formulations que nous pourrions porter avec force ;
- de donner au Syndicat des outils nouveaux qui attestent et mettent en œuvre cette fonction. Il faudra parler, mais il faudra aussi une machine qui fait. J’ai insisté beaucoup pour savoir si nous ne pouvions pas, nous, Syndicat, avoir des outils qui concrétisent notre travail commun.
Notre milieu souffre quand même beaucoup des effets de rhétorique. On dit qu’on fait du neuf, mais souvent, c’est pour abriter d’anciennes pratiques. Or, à la fin, cela se voit, cela se dénonce. Nous y sommes. Et ça, non pas parce que nous sommes malhonnêtes, mais parce qu’il nous manque un imaginaire concret, une incarnation des mots par des expériences qui nous transformeraient vraiment, mais aussi parce qu’il nous manque des outils. « Le médium est le discours », comme dit l’autre. Je crois donc aux outils modificateurs de pratiques et de discours.
Je crois que si nous avions dans nos maisons et nos compagnies des nouvelles expériences d’alliance avec la population, si nous avions des outils de médiation syndicaux forts, nous serions renforcés.
Je terminerai sur une note un peu politique. C’est une des alternatives que je sens, j’ai l’impression que le Syndicat est un peu déchiré sur deux positions, pour le dire grossièrement, et, parfois, ces positions sont à l’intérieur des individus, pas seulement des tendances collectives :
– d’un côté, un appel à un conservatisme remusclé : ne pas nous changer mais affirmer qui nous sommes et devenir impressionnants, faire le pari de notre conservation ; c’est bien, parce que c’est s’appuyer sur un sol ferme, qui est déjà là, mais c’est aussi dangereux, car cela peut à terme ne profiter qu’aux plus solides, ceux qui sont déjà bien implantés, et parce que cela nous expose au flanc de la critique qui veut nous ringardiser ;
– de l’autre, un appel à une modernisation soutenue : affronter les injonctions du présent, nous renouveler, déclarer notre désir de changement ; cette postulation est pertinente, généreuse, mais également dangereuse, car elle peut faire exploser nos cadres.
Je plaide donc pour un usage très rusé, très tactique des deux.