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Part collective du Pass / EAC : la Cour des comptes veut une grande réforme

Alors que la part individuelle du Pass Culture a été étrillée par la Cour des comptes en décembre dernier, les Sages s’intéressent aujourd’hui à la plateforme Adage et à la part dite “collective” du Pass. 

La conclusion de ce rapport consacré plus largement à l’éducation artistique et culturelle est simple : seules les offres de structures publiques ou reconnues par les collectivités locales devraient pouvoir être choisies par les établissements scolaires.Créée en 2021 par décret, la part “collective” indûment rattachée au pass Culture permet de financer des projets d’EAC au collège et au lycée : un budget par élève (25€ par collégien par exemple) est alloué aux établissements scolaires, qui peuvent ensuite réserver une “prestation” culturelle via une plateforme appelée Adage. Cette application sert par ailleurs au personnel enseignant pour avoir accès à une offre culturelle géolocalisée.

Fin janvier, le ministère de l’Éducation nationale annonçait que la part “collective” allait faire l’objet d’un blocage budgétaire, sidérant dans un même élan le secteur culturel et le secteur scolaire. L’EAC, pilier du service public de la culture, servait elle aussi de variable d’ajustement budgétaire ; des coupes bien malvenues.

Rappelons que ce sont les organisations professionnelles de la culture qui ont poussé le Gouvernement à créer cette part “collective” pour contrebalancer la “part individuelle” du Pass culture, jusqu’alors seul outil de la “politique culturelle” d’Emmanuel Macron… Les piteux résultats de la part individuelle sont connus. Les résultats de la part “collective” ne l’étaient pas encore. Ils le sont maintenant.

La Cour des comptes indique que 57% des élèves, tous niveaux confondus, ont bénéficié d’au moins d’une action d’EAC au cours de l’année 2023-2024. Ce taux passe à 72% lorsque l’on regarde uniquement les collèges et les lycées, qui bénéficient eux de la part collective.

Tous niveaux confondus, la Cour souligne donc que plus de 40% des élèves ne sont touchés par aucune action d’EAC. Le rapport pointe les obstacles connus et déjà largement relayés par les professionnelles et professionnels : la question du transport des élèves et de son coût, l’inégalité d’offre culturelle sur le territoire, la forte dépendance des initiatives menées au temps disponible et à l’appétence culturelle du personnel enseignant…

Le fait que les élèves du second degré (collège-lycée) soient presque deux fois plus nombreux à bénéficier d’actions d’EAC que les élèves du premier degré (maternelle-primaire) est à mettre majoritairement au crédit des politiques d’EAC mises en oeuvre par les collectivités territoriales préalablement à la création de la part collective du Pass culture.

La Cour souligne toutefois que le taux de couverture du premier degré est à relativiser car les statistiques proviennent de la plateforme Adage et que le personnel enseignant dans le premier degré indique très peu leur activité d’EAC sur Adage puisqu’il n’en tire aucun financement…

Le bon taux de couverture dans le second degré masque toutefois une inégalité flagrante : au lycée, “on observe un décrochage de 15 points entre les voies générale et technologique (79 %) et la voie professionnelle (64%)”. Or, la proportion d’élèves défavorisés est largement supérieure dans les lycées professionnels (55%) que dans les lycées généraux et technologiques (29%).

Notons de même que le taux de recours est bien meilleur dans l’enseignement public (91% au collège, 96% au lycée) que dans l’enseignement privé (68% et 44%). La Cour estime donc que la mise en œuvre de la part collective du Pass culture au collège et au lycée “apparaît non seulement incomplète, mais source d’inégalités”.

Au-delà de la quantité d’élèves touchés, c’est la qualité des actions menées auprès des jeunes qui compte. Et, sur ce point, le constat de la Cour est sans appel.

Sur Adage, les professeures et professeurs ont le choix entre une quantité importante d’offres. Plus de 13 000 “acteurs culturels” sont référencés. Comment s’y retrouver ? Comment savoir si l’action proposée par telle ou telle structure va être pertinente et remplir sa mission d’EAC auprès des élèves ?

Des commissions de “référencement” des offres existent au niveau de chaque académie. Le nombre d’offres ayant explosé au fil des ans, ces commissions sont à la fois débordées et, conséquemment, moins regardantes. La Cour note ainsi que le taux de refus moyen est de seulement 36% dans les commissions qui se réunissent le plus régulièrement.

À ces contrôles pour le moins inégaux des offres disponibles s’ajoute l’absence totale de contrôle a posteriori : en effet, une fois l’action d’EAC réalisée, “le contrôle de la qualité repose exclusivement sur les enseignants”, qui peuvent “transmettre un signalement en cas de défaut de qualité ou de manquements”.

Or, faute de temps et d’une procédure de remontée d’informations laborieuse, l’immense majorité des équipes pédagogiques interrogées par la Cour des comptes préfère simplement ne pas “renouveler l’opération” avec la structure initialement choisie. Cela n’empêche évidemment pas cette structure de proposer ses services à d’autres établissements.

La Cour le souligne sans ambages :

« Selon tous les acteurs, cette qualité [d’EAC] est généralement bien assurée dans le cadre des grands dispositifs nationaux, ou bien par les opérateurs culturels labellisés par le ministère de la culture, ou encore à travers les parcours culturels offerts aux élèves par certaines collectivités (notamment des villes ou des intercommunalités)« .

Autrement dit : seules les structures soutenues par l’État et les collectivités territoriales, ou les dispositifs d’échelle nationale portée par des opérateurs publics (“Ma classe au cinéma”, portée par le Centre national du Cinéma, par exemple), proposent une éducation artistique et culturelle de qualité aux élèves. L’EAC serait un métier, un savoir-faire ? Quelle surprise !

Malheureusement, les moyens publics déployés pour la part collective (96 millions d’euros en 2024) conjugués à des contrôles a priori très insuffisants et a posteriori inexistants ont créé “un contexte propice à l’apparition d’offres opportunistes” présentant “un lien distendu avec l’EAC”. La Cour note ainsi que “la date de création de certaines associations laissant à penser qu’elles ont été créées spécifiquement pour bénéficier des financements du pass Culture”.

Rien de surprenant, dans ce cas, à ce que les structures ayant bénéficié le plus largement de la part collective du Pass Culture soient des structures privées, avec un effet de concentration typique dans ce genre de situation : en 2023-2024, 7% des structures référencées “concentrent la moitié du montant total des financements distribués sur cette même période”.

Liste des 15 premiers acteurs culturels bénéficiaires du Pass Culture
Acteurs Montants reçus (€)
Théâtre du héron 1 462 602
Théâtre en anglais 1 389 064
Emerald isle theater company 902 351
SAEML Le mémorial de Caen 848 395
Centre national du livre 838 181
La belle histoire 763 962
Compagnie des amis de Platon 719 222
Ass L'Embardée 530 735
Opéra national de Paris 450 274
Compagnie Thomas Le Douarec 447 066
Cité des sciences et de l'industrie 439 766
ACTA 431 400
Compagnie déclic - Cie déclic 413 630
Mairie 399 825

Rappelons que si c’est bien de l’argent public qui finance la part collective, c’est la structure privée SAS Pass Culture qui gère cet argent public et qui garde ces données pour elle… Grâce au rapport de la Cour des comptes, on découvre l’ampleur des dégâts : depuis 2021, année du lancement de la part collective, les 50 plus gros bénéficiaires de la part collective ont reçu 18,9 millions d’euros !

Si certains grands opérateurs publics se trouvent légitimement dans la liste (Comédie Française, Opéra de Paris…), d’autres structures émargent à plusieurs centaines de milliers d’euros voire dépassent le million d’euros sans qu’aucune évaluation de leurs actions n’ait été réalisée.

À l’heure où des économies sont demandées aux professionnelles et professionnels de la culture comme de l’éducation, face à ce constat accablant et en écho aux recommandations de la Cour des comptes, le Syndeac rappelle que :

  • la politique d’EAC a été totalement déstabilisée par la création du Pass culture, puis par son extension collective à travers la plateforme Adage du ministère de l’Éducation nationale ;
  • deux rapports de la Cour des comptes ont dénoncé les dysfonctionnements majeurs de la part individuelle (qui coûte 250 millions €/an) et de la part collective, de même qu’un rapport sénatorial et un rapport de l’Inspection générale de la création artistique (ministère de la Culture) ;
  •  seules les structures artistiques professionnelles reconnues pour leur mission d’intérêt général sont fondées à porter des actions d’éducation artistique et culturelle ;
  • le rapport analysé dans cet article dit clairement que le service public ne peut être garanti que par le service public ! Une conclusion en forme de tautologie…

Dans ce contexte, le Syndeac appelle le Parlement, et plus précisément les commissions Culture de l’Assemblée nationale et du Sénat, à engager une consultation de grande ampleur, consultation que les Gouvernements successifs depuis 2017 n’ont jamais engagée. Une réunion commune des deux commissions Culture offrirait une force symbolique exceptionnelle pour engager un projet de réforme nécessaire.

Il n’est plus possible de procrastiner éternellement, sous prétexte que le Pass culture répondrait à toutes les exigences de l’EAC, ce qui est aujourd’hui largement contesté et étayé. Les Gouvernements, trop contraints par la marque présidentielle, ont refusé de se saisir du sujet. Seul le Parlement peut donc y répondre en cherchant les voies de la refonte pour assurer les missions de service public de l’art et de la culture.

Dans ce processus, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) pourrait être saisi d’une demande d’avis par les commissions parlementaires, afin que la société civile organisée nourrisse de ses réflexions le futur travail de réforme.

Le mot de la fin – Rapport de la Cour des Comptes, page 22 :

“Le référencement des acteurs culturels pour la part collective est l’objet d’un cadrage minimaliste et juridiquement fragile, qui ne permet pas un contrôle effectif de la qualité de l’EAC, alors qu’elle est financée sur fonds publics et s’adresse à un public scolaire captif, qui doit être protégé et bénéficier d’une qualité garantie. Selon tous les acteurs, cette qualité est généralement bien assurée dans le cadre des grands dispositifs nationaux, ou bien par les opérateurs culturels labellisés par le ministère de la culture, ou encore à travers les parcours culturels offerts aux élèves par certaines collectivités (…).

Sur ces questions, la préconisation majeure est de resserrer les dispositifs offerts dans le cadre scolaire. Un système dans lequel on référence plus de 12 000 acteurs sans pouvoir offrir une EAC à tous les élèves est non seulement incontrôlable mais inefficace, et ne se justifie pas. L’EAC ne peut pas avoir pour fonction d’assurer l’équilibre économique voire la survie d’une myriade d’acteurs culturels qui trouveraient un débouché dans l’animation culturelle pour les scolaires. Le soutien aux artistes relève d’une autre politique, même s’il est tout à fait légitime et souhaitable que l’EAC s’insère dans leur parcours, par exemple avec la formule des artistes en résidence, qui comporte des procédures de sélection, et dont la qualité est généralement reconnue.”

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